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Après l’enfer, le curé d’Outreau a retrouvé la paix

Des treize acquittés de l’affaire d’Outreau, il est sans doute celui qui s’en est sorti le moins cabossé. A l’occasion d’un docu-fiction diffusé ce soir sur France 2, Dominique Wiel revient sur son chemin de résilience.

Au début ça fait un choc. » A 85 ans, « bientôt 86 », précise-t-il, Dominique Wiel n’a pas la larme facile, mais ce mardi-là, au siège de France Télévisions, dans le XVe arrondissement de Paris, l’émotion est palpable dans sa voix. Casquette à motif pied de poule et petites lunettes en métal noires, il est venu spécialement de Calais (Nord) pour assister à la projection de L’Affaire d’Outreau. Une nouvelle série documentaire réalisée par Olivier Ayache-Vidal. « Le film est tellement réaliste qu’on comprend exactement ce qu’on a vécu, l’absurdité dans laquelle on a été embarqué », souffle-t-il. « Pour moi, c’est le clap de fin. Désormais, on ne peut plus rien dire. » Le visage est serein, le sourire doux. Pourtant, le prêtre ouvrier à la retraite revient de l’enfer. Poursuivi pour viols et agressions sexuelles sur six jeunes garçons, dont deux des fils de Myriam Badaoui, son ex-voisine de palier à la Tour-du-Renard à Outreau, il a passé 31 mois derrière les barreaux avant d’être blanchi, comme 13 des accusés.

Le cauchemar débute le 14 novembre 2001. « Ce jour-là, j’ai été réveillé à 6h du matin par trois malabars qui m’ont plaqué au mur et récité un article du code pénal mais je n’ai rien entendu », raconte-t-il. Placé en détention à la prison de Maubeuge (Nord), il reste sidéré pendant plusieurs jours. « Ce qui m’arrivait était tellement énorme que ça m’a mis littéralement KO », se souvient-il. La première fois qu’il est présenté au juge, il n’hésite d’ailleurs pas à lui dire : « Mais vous êtes fou, vous êtes cinglé ! ». Quand on le menace d’outrage à magistrat, il comprend qu’il n’est pas sorti de l’auberge.

Malgré 127 demandes de remise en liberté rejetées, il ne perd pourtant jamais espoir. « Comparé aux autres accusés, j’ai eu une chance formidable », assure-t-il. « Même après mon transfert à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), j’ai toujours été ardemment épaulé par ma famille et par mon comité de soutien. » Ses convictions religieuses aussi l’ont aidé à tenir. « Le doute a toujours accompagné ma foi », reconnaît-il. « Mais curieusement pas en prison. J’étais persuadé que les enfants finiraient par revenir sur leurs déclarations et que tout irait mieux. »

Sa prédiction finit par se réaliser. Le 1er décembre 2005, quatre ans après son arrestation, Dominique Wiel est acquitté devant la cour d’assises d’appel de Paris. A peine quelques mois plus tard, il publie un livre autobiographique Que Dieu ait pitié de nous (Oh éditions) et entame un marathon de conférences partout en France pour raconter son histoire. Mais très vite, il éprouve le besoin de passer à autre chose. « Je trouvais que ça ne servait à rien de revenir sans cesse sur des événements traumatisants », confie-t-il. « Il fallait tourner la page. » Une de ses sœurs devient aumônier de prison, un de ses frères se met à visiter des détenus. Lui s’investit avec le Secours catholique auprès des migrants à Calais. Il apporte du café et de la nourriture aux réfugiés, anime un atelier vélo, faire l’école aux enfants. Mais tient coûte que coûte à rester vivre à Outreau. « Je ne voulais pas que les gens croient que je n’étaient pas clair », témoigne-t-il. L’ancien curé y restera douze ans avant de déménager à Calais. Quelques années après son départ, en 2021, la ville d’Outreau a décidé de raser la tour du Renard « comme pour l’effacer des mémoires », analyse le prêtre. « J’aime bien cette scène dans le film où on voit la grue la détruire. C’est toute l’instruction du juge qui est démolie en même temps. » Aujourd’hui, Dominique a classé l’affaire. « Je ne veux pas me laisser écraser par toute cette histoire », affirme-t-il. « J’ai toujours pensé que c’était un accident de la vie, que ça pouvait arriver à n’importe qui. La preuve, nous étions 14 accusés mais nous n’avions rien à voir les uns avec les autres. » Alain Marécaux, l’ancien huissier de justice également accusé puis innocenté, vit lui toujours avec le fantôme d’Outreau.  « Aujourd’hui les cicatrices sont refermées, mais elles restent encore bien visibles », souffle-t-il. « Cette affaire m’a tout pris : ma femme, mes enfants, mon étude. Après mon acquittement, j’avais des envies vengeresses. J’aurais pu continuer à me révolter. Mais j’ai fait le choix de réintégrer la société qui m’a exclu. » Il a refait sa vie « avec une compagne adorable », est redevenu huissier de justice. « A ma sortie de prison, un copain m’a proposé de me remettre le pied à l’étrier alors j’ai suivi. J’ai toujours aimé mon métier. Aujourd’hui, j’essaie juste de le pratiquer avec encore plus d’humanité. » A-t-il pardonné ? A Myriam Badaoui, oui. Au juge Burgaud, non. « J’aimerais pour mettre ma foi en pratique mais je n’y arrive pas », confie-t-il. « C’était un professionnel qui était là pour être garant de la justice et des libertés. Ce n’est pas possible qu’il ne se soit pas rendu compte de son erreur mais il a laissé faire. » Dominique Wiel non plus ne lui a pas pardonné. « Dans le pardon, il faut être deux », rappelle-t-il. « Monsieur Burgaud n’a jamais demandé pardon. »