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Économie Les Echos

La montée en compétences, passage obligé de la transition digitale

Les entreprises, technologiques ou pas, investissent massivement dans les outils numériques. Ces investissements doivent nécessairement s’accompagner d’une montée en compétences et d’un effort de formation.

«Quand on a monté la boîte, il y a un peu plus de quinze ans, on recrutait des auditeurs comptables capables de se débrouiller sur Excel et Access », sourit Olivier Brengues, cofondateur et associé de la société ABBD, spécialisée dans l’analyse des données financières, comptables et fiscales. « Aujourd’hui, on a besoin de compétences beaucoup plus pointues : des scientifiques spécialistes des données, des analystes… »
Ces métiers n’existaient pas il y a quinze ans, mais, à l’heure de la digitalisation de l’économie, ils deviennent stratégiques pour les
entreprises. Ainsi, Alten, l’un des leaders mondiaux de l’ingénierie et du conseil en technologies, prévoit de recruter 4.400 nouveaux chefs de projet et experts techniques pour 2020. Sauf que ce type de compétences se fait encore rare sur le marché français malgré la création en 2015 de la Grande Ecole du numérique.

D’après l’indice Desi publié en juin 2020 par la Commission européenne pour mesurer les performances numériques des pays de l’UE, la France se classe au 17e rang sur le plan des compétences. Seuls 30,9 % des Français ont plus que les connaissances numériques de base, contre 50,1 % en Finlande, 49,6 % aux Pays-Bas et 48,8 % au Royaume-Uni. Largement insuffisant pour couvrir les besoins ! Aussi, la part des spécialistes en TIC
dans l’emploi total s’élève à 7,20 % en Finlande et 6,80 % en Suède, contre
3,9 % dans l’Hexagone.

LA CHASSE AUX TALENTS
Dans ce contexte tendu, les PME peinent à recruter face aux grosses sociétés IT parisiennes qui proposent des salaires en or et des carrières
toutes tracées. Jeff Sebrechts est le cofondateur de Numix, une start-up de digital learning basée à Gaillac (Tarn). Il témoigne de ses difficultés : « La réalité virtuelle et la réalité augmentée étant des technologies nouvelles, les candidats expérimentés sont peu nombreux et concentrés essentiellement en Ile-de-France ». Sa seule option ? « Essayer de toucher des gens qui en ont marre de la vie parisienne et veulent se mettre au vert. » Bien qu’implanté à Paris, Alexandre Beaussier, associé de l’agence de design cognitif SBT Human(s) Matter, a mis plus de six mois pour recruter un architecte de solutions cloud avec une dizaine d’années d’expérience. Et pour le faire venir, il a dû sortir le grand jeu.
« J’ai bien sûr mis en avant l’intérêt des missions qu’on propose au service de la santé, de l’éducation et de la transformation des entreprises. Mais, comme ce genre de profil est de plus en plus recherché, j’ai aussi dû m’aligner sur les prix du marché. » Mais gare au turn-over ! prévient Chantal Mantez, PDG d’Arcanes Conseils 2.0. «Dans le digital, on a, en général, affaire à des candidats assez jeunes qui cherchent moins à faire carrière dans une entreprise qu’à monter en compétences au gré des missions. Dès qu’une opportunité se présente, ils n’ont donc aucun scrupule à quitter le navire. »

Pour prévenir la fuite des cerveaux et la perte de compétences, mieux vaut donc cultiver le partage de connaissances. Une pratique déjà courante chez ABBD. « On fait en sorte que chaque compétence dans l’équipe soit au minimum doublée, explique Olivier Brengues. On veille également à écrire, mettre à jour et diffuser nos process de travail de façon à ce que chacun puisse savoir ce qu’il faut faire dans telle ou telle situation. » Mêmes précautions chez SBT Human(s) Matter. «Personne ne travaille seul. Tous nos projets sont collaboratifs, ce qui permet un transfert de compétences permanent entre les salariés », indique Alexandre Beaussier.

VERS L’APPRENTISSAGE EN CONTINU DES EQUIPES
La transformation digitale dépasse le seul secteur du numérique et concerne toutes les entreprises. Elle modifie aussi en profondeur la relation clientèle, l’organisation du travail et les pratiques
quotidiennes des salariés. « Quand nous avons démarré en 1988, nos rapports étaient tapés de A à Z par des secrétaires dactylographes, se souvient Michel Vignoud, président fondateur d’Alpes Contrôles, une ETI savoyarde spécialisée dans le contrôle technique des constructions. Désormais, ils sont tous pré-remplis par des logiciels pour nous permettre de rester compétitifs face aux poids lourds du marché.» Ce virage technologique a obligé l’entrepreneur à s’entourer de nouvelles compétences. « Nous avons notamment nommé en interne un responsable transition numérique et BIM [building information
modeling, un système qui permet de partager des informations fiables toute la durée de vie d’un bâtiment, NDLR]. Nous avons recruté quatre administrateurs réseaux et huit développeurs, bientôt renforcés par deux autres. » Prochain objectif ? Mettre l’ensemble des 500 collaborateurs à
niveau sur les outils numériques. Car, comme le concède Sophie Serratrice, associée du cabinet d’audit PwC, « ce n’est pas parce que vous mettez des data scientists à tous les étages que vous allez réussir votre mue. Si vous voulez tirer le meilleur du digital, il faut l’intégrer à toute l’entreprise ».
Un défi qu’est en passe de relever T h ib a u l t D u r i e u , PDG du groupe familial du même nom, qui fabrique des produits de protection
pour surfaces : « après avoir mis en place un pôle consumer chargé de développer la marque sur le Web, nous avons formé toute notre chaîne logistique à un système robotisé de rangement et préparation de commandes ». Les opérateurs de production seront eux aussi concernés. A l’avenir, ils s’occuperont d’assurer le contrôle qualité des produits et non plus d’aller chercher les ingrédients dans les linéaires et d’exécuter eux-mêmes les recettes. La montée en compétences est la clé d’une transformation digitale réussie. « Les entrepreneurs doivent mettre leurs équipes en mouvement et leur permettre d’apprendre à apprendre en continu», insiste Sophie Serratrice, qui prône le modèle de l’entreprise apprenante.