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Salariés aidants : l’urgence d’une reconnaissance par les entreprises

Environ 5 millions d’employés, selon une estimation haute, prendraient aussi soin d’un enfant, d’un parent, d’un proche malade ou en difficulté. La prise en compte de leur situation en milieu professionnel s’améliore, mais il reste encore beaucoup à faire.

Quand on a un frère et une soeur avec un chromosome en plus, aider e s t une seconde nature », lance Annie Boulanger dans un sourire. De 7 heures à 14 heures, cette aide-soignante de cinquante ans travaille dans un Ehpad, puis e l l e attaque sa deuxième journée au chevet de son frère. « Je lui fais sa toilette, je lui prépare ses repas, je lave son linge, je fais le ménage et je m’occupe des papiers… » énumère-t-elle. Mais c’est presque une goutte d’eau comparé à la charge qu’elle a dû endosser pendant dix ans quand elle s’occupait également de sa sœur, mais aussi de sa mère, aujourd’hui toutes deux en institution. A l’époque, son employeur ne s’est jamais préoccupé de sa situation personnelle. « Il ne m’a pas fait cadeau d’une seule journée. Quand j’avais besoin de m’absenter, c’était toujours à moi de me débrouiller pour trouver une solution », regrette Annie Boulanger.

LA COLONNE VERTEBRALE INVISIBLE DES SYSTEMES DE SANTE
Aujourd’hui en France, environ 11 millions de personnes, soit un Français sur six, s’occupent d’un proche malade, handicapé ou âgé. Et près de la moitié d’entre eux assument ce rôle en plus de leur emploi. C’est le cas de Sue Ann, quarante-trois ans, qui accompagne son mari atteint d’un cancer.
« J’ai besoin de faire autre chose que de m’occuper de lui toute la journée, confie-t-elle. Sinon, je finis par ne plus le supporter et lui non plus. Mon job, c’est ma bouffée d’air frais. » Quand on est salarié-aidant, réussir à mener de front vie professionnelle et personnelle n’en reste pas moins un sport de haute voltige. A tel point que beaucoup finissent par s’épuiser. « Les aidants sont la colonne vertébrale invisible des systèmes de santé », rappelle le Dr Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique, fondatrice du cabinet de conseil Zibens et auteure du livre « Aidants, ces invisibles» (éd. de L’Observatoire). « Mais lorsque l’on force trop sur un os, il casse. Il est donc temps d’agir pour leur fournir un vrai soutien. » L’enjeu est d’autant plus crucial qu’avec l’allongement de la vie et l’augmentation des maladies chroniques, le nombre d’aidants risque d’exploser. On estime ainsi qu’un actif sur 4 sera aidant en 2030.

SENSIBILISER LES MANAGERS
Depuis quelques années, les entreprises, principalement les grands groupes, commencent donc doucement à se mobiliser. Employée dans une banque, Patricia Bidaux, cinquante- huit ans, a ainsi pu bénéficier, jusqu’au décès de ses beaux-parents, d’un accompagnement social gratuit grâce au contrat que son employeur a souscrit avec la société Responsage. « La plateforme
s’est notamment chargée de contacter la Sécurité sociale, le Centre communal d’action sociale (CCAS) et tous les organismes susceptibles de nous apporter une aide financière ou matérielle,
témoigne-t-elle. Cela nous a bien soulagés, mon mari et moi. »
D’autres entreprises sont à l’initiative de campagnes de sensibilisation, de conférences, de formations… « Ces initiatives restent encore largement minoritaires dans le monde professionnel et reposent souvent sur la volonté d’une seule personne, ce qui peut vite remettre en cause leur pérennité », regrette le Dr Hélène Rossinot. D’où l’intérêt de sensibiliser l’ensemble des collaborateurs et des managers pour créer une véritable culture du soutien envers les aidants. «Les entreprises ne peuvent cependant pas tout. L’Etat doit aussi créer un vrai parcours de l’aidant. »

UN CONGE PEU PRATIQUE
Certes la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), entrée en vigueur le 1er janvier 2016, a instauré un droit au répit pour les aidants. Certes un congé a été créé. « Jusqu’à présent, ce dispositif n’était pas rémunéré et totalement injuste », tempête Patrick Allin, cinquante ans, documentaliste audiovisuel. « En 2017, j’ai demandé à prendre deux jours en juillet et deux jours en août dans le cadre de ce congé pour m’occuper de ma grand-mère, atteinte d’une maladie dégénérative. Mais j’ai découvert
que mon droit complet à trois mois allait être décompté. »
Pas étonnant
que les bénéficiaires ne se soient pas rués dessus… Et le nouveau congé rémunéré mis en place par le gouvernement à compter du 1er octobre ne réglera pas tout. « Trois mois, une fois seulement dans une carrière, cela ne correspond pas du tout aux besoins des aidants qui sont souvent amenés à
accompagner plusieurs personnes au cours de leur vie »,
se désole Hélène Rossinot qui recommande de s’inspirer de nos voisins, notamment l’Irlande. Là-bas, l’aidant peut prendre de 13 à 104 semaines de congé sans solde, pendant lesquelles il peut suivre une formation, travailler à son compte et bénéficier, sous conditions de ressources, d’une indemnisation.
De plus, son emploi est protégé et ses cotisations maintenues. Un exemple à suivre.