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Les jeunes et la musique classique: je t’aime, moi non plus

Un lieu magique, un bel instrument un contact avec un orchestre, un enseignement moins académique: pratique et plaisir musical font désormais bon ménage auprès des 12-26 ans. Mais trop peu d’entre eux en bénéficient encore…

Maryam n’en revient pas elle-même! Il y a encore quelques jours. cette jeune collégienne de 12 ans se disait allergique à la «grande musique. Aujourd’hui. après avoir passé, avec sa classe, une semaine en résidence à
l’Orchestre national de France, elle rêve de pratiquer le violon. Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. Avant ce projet musical, l’adolescente n’avait, en effet, jamais mis les pieds dans une salle de concert. Comme la plupart des jeunes de son âge, d’ailleurs. Ainsi. dans une enquête menée, en 1999, par le Département des études et de la prospective, seul un dixième des 8- 19 ans déclarait avoir assisté à un concert classique durant l’année. Le prix des places serait-il en cause? Rien n’est moins sûr. Depuis dix ans,
les institutions musicales rivalisent d’idées pour permettre aux jeunes d’assister aux concerts sans se ruiner. Le passe-musique de Radio France, par exemple, permet aux moins de 26 ans de s’offrir quatre places de concert pour 18€ seulement. Mais en matière de prix, c’est l’Opéra national de Paris qui fait vraiment figure d’élève modèle. Dans son escarcelle: des chèques culture pour les lycéens, des Pass’Opéra Jeunes à destination des
moins de 28 ans, des abonnements jeunes réservés aux moins de 26 ans et le système « école à l’opéra » pour les groupes d’élèves ou d’étudiants. ll ne faut toutefois pas se leurrer. « Une politique tarifaire attractive ne suffit pas, à elle seule, à générer un nouveau public, soutient Hélène Koempgen, responsable du service des événements pédagogique à la Cité de la musique, il faut aller plus loin. »
La priorité: s’attaquer aux préjugés. « Un ado qui ne connaît pas le répertoire classique aura toujours tendance à lui coller une étiquette », observe ainsi Catherine Ousset-Delage, professeur d’éducation musicale au collège Amédée-Dunois de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne). Et quelle étiquette ! « Ringards, poussiéreux, rébarbatifs», Mozart et consorts en prennent pour leur grade. « A mon âge, les jeunes sont très conditionnés par la musique commerciale », explique Anthony, 19 ans,
qui prend des cours de piano au conservatoire de Cergy depuis quatre ans (Val-d’Oise). « Pour eux, tout ce qui sort de ce standard est has been. » Le
combat serait-il perdu d’avance?

LES ENSEIGNANTS EN PREMIÈRE LIGNE
« Pas du tout »,constate Annie Ducol,enseignante. « Il suffit souvent d’un tout petit rien pour que cette image change radicalement. » Ce petit rien,
c’est ce que le sociologue Antoine Hennion appelle le « déclencheur », un élément d’accroche qui va permettre au novice d’entrer de plain-pied
dans la musique: un lieu magique. un bel instrument ou encore, un contact direct. frontal avec l’oeuvre. « Pour beaucoup d’adolescents, un artiste,
c’est des pixels sur un écran de télévision », constate Bruno Bouteleux, directeur général des Jeunesses musicales de France (JMF). « Depuis sa création en 1941 . l’association a donc pour vocation d’offrir aux jeunes l’expérience du spectacle vivant. » Mission accomplie? « Pas tout à
fait », répond le responsable, qui garde un œil lucide. « Notre action ne représente qu’une goutte d’eau, comparée à l’ensemble des besoins.» Les
JMF n’ont pourtant pas à rougir de leurs performances. Fin 2002, elles affichaient (pour l’année écoulée) plus de 630000 spectateurs dont près de 130000 pour les concerts classiques.
Bien sûr, la sauce ne prendrait pas si le jeune public n’était pas préparé un minimum. Une responsabilité qui incombe aux parents, ou le plus souvent, aux enseignants. « Un prof est un passeur de culture », rappelle ainsi Hélène Jarry, conseillère pour la musique au département Arts e t Culture du Centre national de documentation pédagogique (CNDP). « Pour parvenir à transmettre son savoir et sa passion, il doit être doté d’un vrai pouvoir de conviction et de séduction ». Un avis entièrement partagé
par Diane du Pasquier, 23 ans, diplômée en marketing et membre du Chœur de l’Académie de Musique (voir ci-contre): « Ce n’est certainement pas en assommant les élèves de cours magistraux et de contrôles de flûte à bec qu’on va susciter des vocations! »
Ça, les enseignants l’ont bien compris. « Du moins pour la plupart », tempère Frédéric, étudiant en école d’Ingénieur et mélomane averti. Aidés par des programmes rénovés, ils s’efforcent de rendre la formation musicale moins académique et plus attractive. « Attention! Il ne s’agit pas de mettre un nez rouge ni de faire du divertissement à tout prix », souligne, à juste titre, Bruno Bouteleux. «Juste de rendre la musique plus accessible et ludique.» Finis, donc, les cours insupportables de solfège ! Oubliées les leçons rébarbatives d’histoire de la musique. Désormais, les maîtres mots
sont pratique et plaisir musical. « On ne se contente plus de parler de musique », insiste Ludovic Lavigne, qui travaille dans un collège en zone d’éducation prioritaire (Zep) à Argentan (Basse-Normandie). « On s’attache d’abord à en faire.» En essayant de varier les ingrédients autant que possible: un zeste d’écoute, un soupçon de chant choral, une pincée de pratique instrumentale et dans l’idéal, une portion de sorties pédagogiques. « A Paris, les institutions musicales proposent tellement de formules à destination du jeune public qu’on n’a pas le droit de rester enfermé dans sa
classe »,assure Marie-Thérèse Massot, enseignante dans un collège du XIII’ arrondissement. Mais Paris n’est pas la France. « Bien que le maillage culturel du territoire français soit dense, les possibilités d’aller au spectacle restent beaucoup plus nombreuses dans les grandes agglomérations
que dans les petites », reconnaît Pascal Dumay, conseiller pour la musique à la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS). Même quand les équipes enseignantes ont toute l’offre culturelle à disposition, elles doivent encore composer avec les budgets qui leur sont accordés. « Le ministère nous coupe les vivres », fulmine Bénédicte N’Guyen, professeur dans une cité scolaire du XVe arrondissement. « Il diminue le nombre de postes au Capes, supprime peu à peu les classes à projet artistique et culturel et revoit sans cesse à la baisse le montant des crédits réservés aux enseignements artistiques.» De fait, les profs sont obligés de réduire les sorties culturelles à la portion congrue.
Mais ce n’est pas qu’une question de subventions. Les problèmes logistiques y sont aussi pour quelque chose. « Emmener les enfants au concert sur le temps scolaire relève du parcours du combattant ». tempête Annie Ducol. «Il faut trouver des parents pour encadrer, obtenir les autorisations, respecter les horaires de la cantine et du ramassage scolaire. C’est l’enfer!» A croire que tout est fait pour décourager les bonnes volontés …

DES PROJETS A FOISON
Mais à cœur vaillant. rien d’impossible. Pour compenser le manque d’ambition des médias, certains enseignants n’hésitent pas, malgré les obstacles, à s’embarquer sur la voie des projets pédagogiques et autres partenariats. Il faut dire qu’en la matière, ce n’est pas le choix qui manque. Depuis une bonne dizaine d’années, en effet, les services jeune public des orchestres, soutenus par des mécènes aussi actifs que la Caisse des dépôts
ou le fonds d’action Sacem, multiplient les activités à destination des scolaires: répétitions ouvertes. concerts éducatifs, classes en résidence,
parcours de découverte. la liste n’est pas exhaustive. Pour les organismes culturels, l’objectif de ces actions est double: il s’agit non seulement
de créer le public de demain mais aussi de faire descendre la musique savante dans le quotidien des profanes.

Il y a encore un an, Grégory, 23 ans. faisait partie de ceux-là. Etudiant en magistère de science de gestion à Paris-Dauphine. le jeune homme a découvert le classique grâce à un stage d’initiation organisé conjoinlemem par son uni\’ersité et l’Orchestre
national de France … A partir de l’oeuvre
d’Alban Berg, nous avons travaillé, pendant deux
jours, à la recréation de morceaux », se souvient
le futur gestionnaire.« Chacun a apporté sa pierre
à l’édi fice « , précise le violoniste Marc·Ol ivier
de Nattes. l’un des acteurs du proje. .. Il n’y avait
pas les étudiants d’un côté ct les musiciens de
l’autre. Cétait un vrai travail collectif. » Preuve
que le courant est vraiment bien passé: les étudiants
ont décidé d·organiser.trois mois plus tard,
un conce rt de musique de chambre dans leurs
murs. Ils remenront cela le 11 mai prochain.
Même enthousiasme chez les anciens élèves de
la classe de troisième du collège Jean-Rostand
d’Argentan (Orne).« Dans le cadre d’un partenariat
avec l’Orchestre philharmonique de Radio
France, nous avons eu la chance, l’an dernier,
d’assister à cinq concerts et d’échanger, à plusieurs
reprises. avec les musiciens et le maestro
Chung », raconte Miekaël. 15 ans. De cette expérience.
il ne garde que de bons souvenirs, mais
ce qu’il retient avant \Out. c’est l’énorme investissement
personnel des artistes. « Moi qui joue
dans un groupe de rock amatcur,je ne m’imaginais
pas que les musiciens professionnels pou·
l’aient travailler autant! » Le mythe érigé par la
Star Ac’ a du plomb dans l’rtile, et ce n’est sûrement
pas Ludovic Lavigne qui s’en plaindra. De
là à cricr victoire, il y a toutcfois un gouffre que
le professeur sc garde bien de rranchir. « Pour
moi, le contrat n’est pas rempli à cent pour cent »,
avoue-t-il.« Rares sont lcs élèves qui ont spon·
tanément acheté des disques classiques. Quant
aux inscriptions dans les écoles de musique, je
n’en ai enregistré aucune. »
Pour Antoine Hennion,cela n’a rien d’étonnant.
L’l pl upart du temps. en erre!. l’apprentissage du
classique est un processus long ct chaotique … On
se familiarise avec le répertoire à l’école; puis. en
général, on le laisse de côté et on le retrouve il
l’âge mûr. » Bien sOr, cenaines conversions sont
plus rapides que d’autres. Les pédagogues n’ont
pas toujours besoin d’attendre des années avant
de récolter le fruit des graines quïls ont semées.
Mais quand le miracle sc produit, ils se sentent
souvent pris au dépourvu.« A Paris, les écoles de
musique croulent sous les demandes! Dans un
arrondissement comme le XVI », il )’ aura bicn·
tôt de quoi ouvrir un second conscrvalOÎre »,s’in·
digne Annie Ducol. Vouloir démocratiser la mu,
siquedassique.c’est bien. Encore faudrait-il s’en
donner les moyens … • Elodie Chaval